La société à mission, une nouvelle manière d’entreprendre

Comment la société à mission offre aux entreprises la possibilité de viser une ambition sociétale.

La loi Pacte offre aux entreprises la possibilité de se définir comme société à mission. 

Les témoignages des pionniers ont en commun d’évoquer un projet d’entreprise qu’ils illustrent par une diversité de contextes et d’objectifs poursuivis : répondre à des enjeux de société, accompagner une stratégie de croissance, opérer une transformation profonde, l’accélérer, inspirer, remotiver…

Toutefois, si plus des deux tiers des chefs d’entreprises (Les Echos, février 2018) trouvent le projet adapté pour stimuler l’innovation des équipes, améliorer la marque employeur et l’image auprès des clients, peu se lancent. Innovant dans sa conception juridique, le cadre législatif nécessite selon eux d’être décodé. Décryptage.

Certaines entreprises que nous accompagnons souhaitent s'engager dans cette voie. Innovante dans son modèle, la démarche et les engagements associés nécessitent d'être expliqués. Décryptage. 

Un cadre législatif... très libéral

Les contours constitutifs de la société à mission sont définis dans l’article L. 210-10 du code de commerce :

« Une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées :

Ses statuts précisent une raison d’être (…) ;

(…) un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre (…) ;

Ses statuts prévoient les modalités du suivi de l’exécution de la mission (…) ;

L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux (…) fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant (…) ;

La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce (…) ».

Il ressort que la société à mission n’entraîne pas de changement de la forme juridique mais ajoute une qualité aux statuts, sans restriction de secteur ou de taille. Elle couvre toutes les formes juridiques : SA, SAS, SARL, coopératives, mutuelles (relevant du code de l’assurance ou de la mutualité).

L’inscription dans les statuts de la raison d’être et des objectifs qui lui sont liés, engagent juridiquement la société. La démarche nécessite donc l’implication de la gouvernance et son acceptation par les actionnaires.

Une décision à mettre en oeuvre avec méthode

S’il n’y a pas une seule méthode, néanmoins des tendances se dégagent .

1. Définir une raison d’être

La société à mission se dote tout d’abord d’une raison d’être statutaire. Notion jusqu’alors inédite dans le droit, c’est l’article 1835 du code civil qui en donne les contours : la raison d’être [est] constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité. La raison d’être suppose donc l’affectation de moyens.

Dans leur rapport « L’entreprise objet d’intérêt collectif », Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard précisent qu’une réflexion, menée largement dans l’entreprise, doit permettre à la direction d’organiser un compromis neutre et créatif entre les aspirations des différentes parties y prenant part. Il convient donc de rester vigilant à ce que les aspirations demeurent proportionnées aux enjeux de l’activité et se calent sur un rythme acceptable pour l’entreprise. La nécessité d’un compromis peut justifier une plus grande implication de la direction.

« La définition de la raison d'être est un choix stratégique qui engage l'entreprise au plus haut niveau et tous ses collaborateurs […] elle ne peut pas être réduite à un simple instrument de communication », explique en février 2019 la directrice marques, développement durable, communication et affaires publiques du groupe Michelin. Dans les faits, il revient souvent aux départements communication de la traduire vis-à-vis des partenaires, clients et salariés.

Pour les entreprises qui ont déjà travaillé sur leur raison d’être, les plus concises, sont aussi les plus claires et les plus mobilisables. Illustrations :

  • « Proposer des produits et services pour la maison, conçus au bénéfice de l’Homme et de la planète. Mobiliser notre écosystème (consommateurs, collaborateurs, fournisseurs, actionnaires, acteurs du territoire), collaborer et agir pour inventer de nouveaux modèles de consommation, de production et d’organisation ». Dans une phase de conquête de nouveaux clients et de réinvention de l’entreprise, la Camif mobilise sa raison d’être pour clarifier le pourquoi de l’entreprise.
  • « Convaincus que seule une attention sincère portée à l’autre et au monde permet de garantir un réel mieux commun, nous la plaçons au cœur de chacun de nos engagements et de chacune de nos actions ». Pour la MAIF il s’agit d’aller plus loin dans ses engagements vis à vis de ses parties prenantes et de faire la différence dans l’esprit des consommateurs.
  • Avec « Offrir à chacun une meilleure façon d’avancer, améliorer la mobilité de nos clients », Michelin mobilise sa raison d’être pour fédérer les salariés, accroitre leur engagement, renforcer son leadership en faveur de la mobilité durable et renforcer sa compétitivité.

En résumé, la raison d’être permet d’asseoir les contours de la mission.

2. Faire de la raison d'être une mission

En complément de l'obligation qui pèse sur chaque société d'estimer les conséquences sociales et environnementales de ses décisions (article 1833 du code civil), les objectifs sociaux et environnementaux apportent un cadre à l'entreprise sur ce qu'elle peut et ne peut pas faire. Il s'agit d'engagements. Toutefois, le législateur ne les a pas définis. Ils sont donc à la libre expression de l'entreprise, tant dans leur nature que dans leur niveau de précision. Il est néanmoins mentionné qu'ils doivent être énoncés et réalisés dans le cadre de l'activité de la société. 

Pour l’entreprise cela revient à articuler son modèle d’affaires et son cœur de métier autour de la résolution de ses engagements. A titre d’exemples, Michelin prévoit à horizon de 2030 que la part de carburant due à l’utilisation des pneus doit atteindre 20%, soit une économie de 30 millions de tonnes de CO2 ou gaz carbonique. Quant au Crédit Agricole, il prévoit de verdir son bilan.

On mesure au travers de ces formulations, non exhaustives, que les objectifs de la mission questionnent la manière dont les activités de l’entreprise contribuent à résoudre un problème de société. Ils s’apparentent à un mode d’emploi qui explique comment la raison d’être de l’entreprise contribue au bien commun. Ils affichent son implication motivée face aux enjeux sociétaux.

Pour ne pas tomber dans le greenwashing ou formuler des sentiments dépourvus de substance réelle pour elle, l’entreprise peut réfléchir à partir des ODD (Objectifs de Développement Durables) ou des réponses apportées par les approches inclusives.

Les objectifs peuvent être de type négatif (limiter la pollution de l’air intérieur [Camif]) ou de type positif (proposer un portefeuille de produits plus sains [Danone]). Dans tous les cas, ils traduisent une obligation de résultat où seule la réalisation des engagements compte. On peut imaginer des objectifs qualitatifs, qui seront ensuite déclinés quantitativement et avec précision dans des documents extrastatutaires.

Leur formulation passe par un travail de fond : diagnostic des activités, métiers, marchés, pratiques, marges de progression, calendrier, indicateurs… C’est un exercice qui nécessite l’implication des parties prenantes. La qualité des discussions gagne à privilégier les démarches collaboratives qui peuvent être « aiguillonnées ».

Un bon timing intègre suffisamment tôt les collaborateurs, met l’entreprise en tension, permet de valider que toutes ses activités sont prises en compte et qu’elles sont réalisées en compatibilité des engagements sociaux et environnementaux. Compter si besoin un processus pouvant aller jusqu’à 18 mois.

3.  Embarquer les équipes

La société à mission influence le modèle managérial en mettant l’accent sur la cohérence entre l’accomplissement de la mission et le développement des capacités à agir.

Pour organiser efficacement leur collectif de travail, les entreprises pionnières s’inspirent de modèles managériaux fondés sur la confiance, l’autonomie et la responsabilité. Les jeunes talents y voient une réponse à leur quête de sens et de cohésion.

4. Définir les enjeux métiers

Il s’agit non seulement de formuler les objectifs et les expertises en fonction d’un impact à atteindre mais également de préparer l’évaluation de la performance à l’aune de la mission. Ainsi, un commercial devra développer son chiffre d’affaire tout en recherchant un échange équitable et équilibré avec ses fournisseurs, en cohérence avec la mission.

Nombre d’entreprises déjà très engagées dans des programmes de transformation de leurs métiers, ont un risque réel de mal calibrer le temps nécessaire pour expliquer comment chaque métier, chaque fonction ou chaque opération contribue à la bonne exécution de la mission. L’entreprise doit accepter d’y consacrer du temps.

5. Suivi et évaluation

La légitimité de l’engagement sociétal nécessite la mise en place d’un organe de gouvernance spécifique comportant au moins un salarié : le comité de mission.

Doté d’un pouvoir d’investigation et de discussion sur la mission, il évalue l’accomplissement de la mission et rend compte annuellement de sa bonne exécution à l’assemblée générale. Son rapport est joint au rapport de gestion. Il est recommandé d’étendre sa composition aux parties prenantes externes. Dans les entreprises de moins de 50 salariés permanents, le comité peut se limiter à un salarié qui prend le titre de référent mission.

L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux fait également l’objet d‘une vérification par un organisme tiers indépendant qui rend un avis motivé sur le respect ou non des objectifs que l’entreprise s’est fixée. Il s’agit d’un audit externe mené par un organisme accrédité par le Comité français d’accréditation.

En cas de manquement dans le respect de la mission, les mécanismes d’évaluation peuvent contraindre l’entreprise à devoir supprimer la qualité́ de société́ à mission de tous ses actes, documents ou supports électroniques.

En conclusion, le portage du projet se situe au plus haut niveau de l’entreprise avec le soutien appuyé des instances de gouvernance, elles-mêmes soutenues par les actionnaires. Il implique un grand nombre d’acteurs aussi bien internes qu’externes. Structurant et impactant, il s’inscrit nécessairement dans la durée.

Pour les entreprises qui perçoivent les enjeux stratégiques de cette approche, elles illustreront l’analyse de plus de 73% des français qui pensent que « les entreprises ont plus de pouvoir que jamais pour transformer la société  ».

    Pour aller plus loin

    L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus

    Notes de lecture du livre de Pascal Demurger.